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April 1, 2021
Le témoignage de notre CEO | Comment, en 18 mois, nous avons pivoté et levé 35M€ ?
Découvrez le témoignage de notre CEO Adrien Fernandez Baca.
« Il y a 18 mois, j'ai pris la décision stratégique la plus difficile de ma jeune carrière de CEO. À l'époque, nous étions une société de 60 employés, aux ressources très limitées. D'un côté, (1) une ligne business sur laquelle j'avais investi 5 années de ma vie, générant 10M€ de revenu annuel mais avec une perspective de croissance limitée, de l’autre(2), une ligne business naissante, générant 20k€ de revenu mensuel, avec une perspective de croissance gigantesque sur un marché en explosion. Une chose était sûre, nous n'aurions pas le cash nécessaire pour avancer sur les deux fronts. Il fallait choisir.
1er juillet 2019, 8h30. Je sors de la crèche, où je viens de déposer ma fille, prêt pour une journée de travail. Dehors, l'atmosphère est lourde, il va pleuvoir. Depuis quelques jours, je ressens cette pointe douloureuse dans l'estomac, expression de mon anxiété. Cette sensation désagréable, on apprend vite à vivre avec quand on est CEO. Je me dis souvent qu'elle passe pour me livrer un message. Alors ce matin là, quel message cherchait-elle à me faire passer ?
Sur le chemin du bureau, je réfléchis aux signaux qui devraient m'inquiéter s'il y avait un réel sujet : (1) nos Sales se plaignent tout particulièrement de ne plus avoir de leads, (2) le taux de conversion baisse. Afin de faire abstraction de tout ce qui pourrait m'empêcher d'analyser ces signaux en pleine objectivité, j'accepte de jouer au jeu du "Et si ?". Et si les sales avaient raison ? Et si cette fois-ci, nous commencions réellement à saturer notre marché ? Je continue un instant, puis rejette tout en bloc et passe à autre chose, mais l'anxiété ne me lâche pas.
J'arrive au bureau et m'installe à ma table avec un café. Face à moi, une reproduction de La Clairvoyance de Magritte, offert par une ancienne employée quelques mois auparavant. Le tableau représente un peintre qui observe un œuf, mais peint un oiseau. Je pense : “si j'étais le peintre, que représenterait l'œuf ? et l'oiseau ?”
À ce moment, Pierre, Head of Data, vient me saluer. Ça tombe bien, c'est avec lui que je j’ai l’habitude de “connect the dots”. Il est 9h, il a pris son premier café, et je lui pose l'éléphant sur la table : "Et si on était en train de saturer notre marché ?". Loin d'être déstabilisé, il me regarde, rit et répond : "t'as encore passé une bonne nuit, toi !” Je lui donne mes insights, et on fait tourner les chiffres. Au bout d’un moment, Pierre ferme son ordinateur et dit : "Ça me fait mal de l'avouer, mais je crois que, cette fois-ci, les Sales ont raison. En moyenne on a call 1.8 fois nos leads et on n'a aucun lead qui n'ait pas été appelé dans les six derniers mois. On sature notre marché. Fuck."
"Saturer notre marché" dans une logique d'ultra-croissance veut dire que la taille de notre marché adressable allait plafonner notre vitesse d'acquisition et nous contraindre à ralentir. Je me souviens avoir paniqué une seconde. Au fond de moi, je savais qu'il serait difficile de re-financer un business dont le marché majeur montrait un ralentissement à 10M€ de revenu avec une perspective de rentabilité éloignée.
En vingt minutes, on a dessiné un scénario optimal: réduire les dépenses pour allonger notre durée de vie, ouvrir d'autres villes plus petites que Paris et viser une boite rentable à 20M€ de revenu d'ici quelques années. Rien n'était infaisable et c'était rassurant de se dire qu'on avait déjà un plan.
Mais je n'arrivais pas à m'en satisfaire. Au fond de moi, je sentais émerger un début de désalignement entre là où je pouvais mener l'entreprise et là où je voulais aller. J'avais créé Cubyn en sortie d'école, sans aucune expérience professionnelle, sans chômage. J'avais pris tous les risques avec pour seule ambition de construire quelque chose de grand. Me retrouver contraint de ralentir, de réduire mes ambitions pour une limitation de marché était aussi frustrant que si on m'avait dit : "Adrien, tu ne pourras pas devenir celui que tu veux être". Alors, je me suis mis à la recherche de l'oiseau du tableau de Magritte.
À ce moment, chez Cubyn, il y avait plusieurs petits projets lancés en interne sur des lignes business connexes à notre activité principale, et depuis son lancement, je suivais de très près un projet nommé fulfillment opéré par un Project Manager et qui commençait déjà à générer 20k€ de revenu mensuel. À la recherche du moindre signal, j'ai commencé à analyser toute la data disponible pour finalement en sortir 3 insights :
1. Le marché était immense >1Bn en France et >45Bn en Europe
2. Les clients étaient 5 fois plus gros que sur notre business historique
3. L'acquisition était possible via des partenariats.
Plus j'avançais dans les analyses, plus grandes étaient mes convictions. J'ai continué à pousser l'abstraction jusqu'à son extrême, et un jour, je me suis autorisé à me poser la seule question réellement importante : “et si ce projet générant 20K€ par mois était le nouveau Cubyn ?”
À l'instant oùj'ai pour la première fois formulé cette question dans mon esprit, une phrase de Salvador Dali s’est rappelée à moi: "L'unique différence entre un fou et moi, c'est que moi je ne suis pas fou.". Finalement, à chaque moment de doute sur le chemin pour accomplir la transformation, Dali serait là pour me rappeler qu'aucun visionnaire n'avait jamais émergé sans qu'on ne suspecte chez lui une once de folie.
Plus je creusais le sujet, plus mes convictions sur le Fulfillment commençaient à grandir, mais la décision était difficile à prendre. Renoncer à 5 ans de travail (sunk cost), augmenter le niveau de risque pour l'entreprise et ma famille (risk management), faire face à la crainte de la réaction de nos employés, du marché, des investisseurs, et la peur de la solitude dans ma décision (followership), étaient autant de biais qui paralysaient ma réflexion.
J’avais un jour écouté un podcast de la “Harvard business review” traitant des décisions des CEOs, notamment les "lonely spot": lorsque le CEO a une conviction forte sur ce qui doit être fait tout en sachant que personne n'aimera la décision. Je me suis longuement demandé si c’était à mon tour de prendre ce type de décision. En l’occurrence, le Fulfillment était la solution pour maximiser le retour long terme pour Cubyn, et c'était ma responsabilité de prendre cette décision pour l'entreprise.
Faire le deuil de 5 années fut émotionnellement assez difficile. Mais pendant cette première étape, nous avions développé une capacité unique qui nous servirait pour le Fulfillment : celle d'avoir la meilleure structure de coût du marché dans une industrie drivée par le prix. Là où toutes les autres entreprises du premier kilomètre avaient échoué, nous étions les seuls à avoir réussi à faire fonctionner nos unit economics. J'avais la certitude que cette capacité nous permettrait de gagner le marché du fulfillment, là où nos concurrents directs étaient des logisticiens avec des niveaux de standardisation et de technologie très faibles. Ma conviction était faite, il nous fallait rentrer dans ce secteur avec un price point 30% inférieur à la concurrence et l’étouffer grâce à notre puissance opérationnelle et des capacités de déploiement et de scaling ultra-rapides.
En septembre 2019, nous avons acté notre re-focus vers le Fulfillment, et très vite déployé nos premières technologies au sein des entrepôts. Nos efforts d'acquisition et de focus ont commencé à payer en novembre 2019, avec un revenu multiplié par 18 en 3 mois. À ce moment-là, 40% de notre business venait déjà du Fulfillment et en janvier 2020 nous avons atteint le million de revenu mensuel après seulement 6 mois d'activité.
En mars 2020, arrivent la crise sanitaire du Covid-19 et le confinement, qui fait exploser le e-commerce. Le revenu du Fulfillment est alors multiplié par 3 en 3 mois, alors que le business historique s'appuyant sur des magasins est quasiment à l'arrêt. Au même moment, les logisticiens traditionnels sont fermés avec des retards d'expédition énormes, et Amazon limite son offre de fulfillment à certaines catégories de produits. Nous offrons alors les meilleures performances du marché en termes de promesse et de coût. L'industrie comprend que pour survivre à la crise sanitaire et réussir en e-commerce, elle a besoin de solutions Fulfillment agiles, scalables, technologiques et neutres. Sur 2020, la croissance de notre revenu Fulfillment est vertigineuse (x8) et nous atteignons 250M€ de GMV avec la signature de marketplaces majeures comme Backmarket, Rakuten, Mirakl et Fnac.
En février 2021, 1.5 an après le lancement du Fulfillment, nous clôturons une levée de fonds de 35M€ pour étendre notre réseau en Europe. Notre ambition est de construire le plus grand réseau de Fulfillment e-commerce au monde. Cette levée de fonds n'est qu'une première étape et le début d'une grande aventure. Et désormais, avec Dali, nous sommes d'accord, la seule différence entre un fou et nous, c'est que nous, nous ne sommes pas fous... »